Luanda, Angola juin 1984.
Nous ne savions pas encore que cette ville, ce pays allaient changer notre perception de la vie.

Nous nous étions donnés rendez-vous chez Marie-Hélène pour passer notre dernière journée ensemble, avec Liliane, Xavier et moi-même.
Nos parents travaillaient en Angola comme expatriés pour des entreprises étrangères. Ils avaient vécu une grande partie de leur carrière professionnelle à l’international.
La saison chaude s’était achevée. Les températures torrides et l’humidité s’étaient envolées, les pluies soudaines et violentes avaient cessé. La savane verdoyante avait laissé place à la couleur du sable. La terre craquelait. La Cacimbo, la saison sèche et « fraîche » était présente depuis quelques semaines. Le temps était sec et doux.
Au kilomètre 17 vers le sud, les baobabs perdaient leurs feuilles. A cheval sur une piste, nous observions ces arbres immenses, les habitants de la savane. Ils étaient majestueux. Ils ressemblaient à des géants. La plaine touchait l’infini. L’atmosphère était silencieuse, oppressante de beauté.
Dans les années 80, l’Angola sortait d’une guerre civile. Luanda la capitale subissait un couvre feu de minuit à 6 h du matin. De nombreux immeubles portaient encore des traces des tirs des armes. Il fallait reconstruire. Les magasins étaient mal achalandés. Il fallait tout réorganiser, les hôpitaux, les réseaux d’assainissement, l’électricité, l’eau, le ramassage des poubelles qui bien souvent étaient des décharges à l’air libre.
Les angolais étaient d’une gentillesse, d’une joie de vivre, accueillants, très travailleurs. Ils avaient une soif d’apprendre après les années de guerre.
Les hommes, les femmes étaient élancés, minces dans leur ensemble, le visage fin. Il y avait beaucoup de métissage, plusieurs ethnies. Le peuple angolais était d’une beauté effrontée.
Pour ma part, je n’ai jamais subi de racisme durant mon séjour dans ce pays. Bien au contraire. J’étais presque des leurs. Mon père, directeur d’une entreprise de climatisation, n’avait embauché que des angolais. Nous étions souvent invités à leurs moments de vie, baptême, anniversaire, … C’était simple mais joyeux et festif. Mon père était parrain d’un de leurs enfants. A chaque passage en France nous leur ramenions ce dont ils avaient le plus besoin, vêtements, chaussures, fournitures scolaires, quelques médicaments. C’était essentiellement pour les enfants. Ils ne voulaient pas d’argent. Leur monnaie, le Kwanza était dévaluée.
Nous étions au lycée français de Luanda. Toutes les nationalités se côtoyaient.
Avec mes amis Liliane, Marie-Hélène et Xavier nous passions une dernière journée ensemble. Nous voulions en profiter un maximum. Nous ne savions pas quand nous nous reverrions. La journée était passée à une allure folle, la plage, promenade dans le quartier.
J’adorais ces balades dans Luanda. Souvent des jeunes angolais nous abordaient. Des adolescents étrangers dans les années 80, se baladant dans la ville, ce n’était pas courant. Ils étaient très curieux. Ils voulaient que nous leur racontions nos vie, études, nos pays. En retour, nous voulions aussi connaître les leurs. Nos échanges étaient amicaux, sans aucune animosité. Certains avaient eu des vies très difficiles. On apprenait l’Afrique, ses travers, sa beauté, sa misère, son enthousiasme, sa nonchalance, ses joies, sa résilience, son histoire.
Tout était excessif en Afrique, le soleil, le bleu du ciel, le vent, les tempêtes, les grosses gouttes de pluies qui vous trempent en quelques secondes, la chaleur, l’humidité, les couleurs, les odeurs, les saveurs, le goût des fruits, la misère, les chants, les cris, l’amour, l’amitié, la beauté, le cri des oiseaux, ….
Mon fils et sa femme sont partis faire un séjour en Tanzanie. Je leur ai donné un seul conseil. « Profitez-en bien. Quand vous aller rentrés, tout va vous paraître fades. »
L’heure de nous quitter était arrivée. Les pleurs déchirants de la séparation avaient remplacé ces merveilleux moments passés ensemble. Nous nous étions serrés dans les bras très forts, en se promettant de se revoir vite. Nous nous enlacions les mains jointes, les yeux embués de larmes. Ces effusions ont duré longtemps, longtemps. Ces larmes, je les ai encore en mémoire, 40 ans après.
Encore une fois, on se serrait pour les derniers adieux. Encore une fois, je m’était tournée pour voir leurs beaux yeux.
Nous ne savions pas encore que 40 années nous sépareraient de ces jours heureux.
